L'hydrogène est souvent présenté comme potentiel candidat pour des systèmes de stockage de l'énergie. L'idée est de produire de l'hydrogène par électrolyse à l'aide d'électricité «excédentaire» et de stocker ce gaz pour s'en servir pour le chauffage — par combustion directe —, pour servir de carburant dans des automobiles — en général, via des piles à combustible — ou encore pour produire de nouveau de l'électricité. Tous les projets sont toutefois restés à l'état de prototype jusqu'à présent.

J'avais abordé suite au rapport de l'OPECST de 2012 sur l'avenir de la filière nucléaire — et plus généralement sur l'avenir de la production d'électricité — les problèmes que posaient la transformation d'électricité en stock d'énergie utilisable plus tard. Au delà des problèmes techniques encore à résoudre, se pose un problème de rentabilité économique: pour que le stockage soit rentable, il faut l'installation ne soit pas trop chère à construire et à faire fonctionner et que la durée de fonctionnement soit élevée. Une note récente du Commissariat à la prospective vient de paraître et fournit quelques données qui vont dans le sens de l'extrême difficulté pour atteindre le seuil de rentabilité. À la lecture de la note, on se dit que l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur énergétique relève du mirage: toujours visible à l'horizon, mais dont on ne se rapproche jamais malgré une longue marche dans sa direction.

Le dihydrogène est la molécule qui permet de récupérer le plus d'énergie par combustion rapporté à sa masse. C'est ce qui lui vaut une bonne image quand on parle de stockage de l'énergie. Mais il souffre en fait de graves tares:

  1. Pour un gaz, ce n'est pas tant l'énergie par unité de masse qui compte, mais la quantité d'énergie par unité de volume. En effet, c'est plutôt le volume du réservoir qui est limitant. Or la formule des gaz parfaits nous dit que le volume est proportionnel au nombre de molécules. Ce qui fait qu'au total, le contenu énergétique du dihydrogène est d'environ 3.5 kWh/Nm³ contre environ 11 kWh/Nm³ pour le méthane, principal constituant du gaz naturel. Le dihydrogène est donc un vecteur moins concentré en énergie que ce dont on a l'habitude aujourd'hui
  2. Il n'est pas envisageable de le liquéfier à grande échelle du fait de la température très basse de liquéfaction (-253°C) et aussi d'un gag dû à un phénomène de mécanique quantique
  3. Même s'il est plutôt moins détonnant que le méthane (contrairement à ce qui est dit dans la note), le dihydrogène fuit nettement plus facilement de son contenant. Cela le rend nettement plus dangereux que le méthane. Ce dernier est accompagné d'un gaz odorant dont les propriétés sont proches et qui fuit en même temps que le méthane. C'est impossible pour le dihydrogène qui peut fuir par des micro-fissures. Détecter toutes les fuites est donc nettement plus difficile.
  4. Bien sûr, le dihydrogène n'existe pas — ou quasiment — à l'état naturel, il faut donc le produire. Actuellement, il est principalement fabriqué par vaporeformage. Le but étant aussi d'éviter d'émettre du CO₂, il faut se reporter sur l'électrolyse, nettement plus gourmande en énergie. Cela nécessite donc de construire des usines et de payer l'énergie. Le coût va donc dépendre aussi du taux d'utilisation de l'usine et du rendement du procédé. Il se pose aussi des difficultés pour se procurer du platine en grande quantité pour servir de catalyseur.

La plupart de ces critiques peuvent trouver des réponses techniques, mais elles ont pour la plupart toutes un coût. Si on parle de plus en plus de remplacer le platine par des matériaux plus communs (exemple), les autres solutions sont de compresser l'hydrogène — on estime que compresser à 700 bars coûte 20% du contenu énergétique —, de construire des réservoirs en matériaux composites — donc des coûts de développement — etc. La critique la plus difficilement contournable est donc celle du coût de production. La note fournit des données chiffrées qui laissent peu d'espoir. couts_H2.jpg

Comme on peut le voir ci-dessus, dans tous les cas, l'hydrogène produit est très cher. Les 2 colonnes de gauche représentent à peut près les conditions actuelles de production, la colonne 6, le meilleur cas espéré à l'avenir: un électrolyseur qui coûte à l'achat 800€/kW installé qui tourne presqu'en permanence (7000h par an) et qui paie son électricité 60€/MWh. Dans ce cas, l'hydrogène coûte 94€/MWh thermiques, à comparer à un prix du gaz d'environ 20€/MWh en Europe.
La colonne 5 donne le coût pour un électrolyseur qui serait utilisé pour éponger d'éventuels excédents d'électricité, provenant de sources d'électricité intermittentes comme l'éolien ou le solaire. Dans ce cas, l'électricité serait gratuite, mais on ne peut pas imaginer que ce soit un phénomène courant durant l'année à cause du faible facteur de charge des éoliennes et des panneaux solaire et parce que les producteurs auraient du mal à vivre avec une large part de leur production payée 0€. Mais dans ce cas, on constate que le coût de production est de presque 270€/MWh: le coût est alors déterminé par les frais fixes de l'électrolyseur qu'il faut amortir sur une faible durée d'utilisation.
On voit aussi que la production d'électricité par ce biais est reservée aux cas d'urgence du fait d'un coût qui devient totalement prohibitif, un MWh électrique coûterait de l'ordre de 2 à 3 fois le MWh thermique.

Comme on le voit, pour que l'hydrogène devienne un vecteur énergétique crédible, il faut à la fois que les obstacles technologiques soient surmontés et que les prix baissent énormément. Si les électrolyseurs coûtent actuellement 2000€/kW, il faudrait qu'ils coûtent entre 100 et 200€/kW pour que les coûts deviennent à peu près raisonnables. Comme on voit qu'en plus l'hydrogène est loin d'être le vecteur énergétique le plus pratique, cela veut dire qu'il ne sera utilisé que si on ne peut faire autrement. On peut donc se dire que la situation qui a prévalu jusqu'ici se perpétuera: l'hydrogène continuera d'être évoqué comme prometteur pour quelques dizaines d'années encore.