L'OPECST a rendu en décembre dernier un rapport — en 2 tomes— sur l'avenir de la filière nucléaire et plus généralement la génération d'électricité en France. Le premier tome présente ce que retient l'office des auditions et de ses déplacements, ainsi que sa conclusion sur le futur de la production d'électricité en France. Le deuxième tome compile l'ensemble des auditions menées. Ce rapport est l'occasion de passer en revue un certain nombre de sujets qui ont été évoqués lors des auditions de l'office et aussi de donner mon avis sur les conclusions de ce rapport.

Actuellement, il est difficile de stocker de l'électricité dans des quantités significatives ou dans un laps de temps dépassant quelques secondes. On est donc obligé de passer par des intermédiaires. Actuellement, seul le stockage dans des lacs de barrage remplit un rôle significatif dans la production d'électricité. Son utilisation requiert la présence de montagnes pour un usage le plus performant, et il existe une limite à l'acceptabilité des lacs de barrage, la montagne étant aussi habitée et fréquentée par des êtres humains, souhaitant voir aussi des vallées non noyées par des lacs. La montée en puissance de l'éolien et du solaire, moyens intermittents et hors de notre contrôle de production d'électricité, renforce la tentation de trouver des moyens de stocker cette énergie. Sans ces moyens de stockage, le complément est amené à être assuré, pour des raisons essentiellement économiques, par des énergies fossiles qu'il s'agit justement d'éviter d'utiliser.

Le rapport de l'OPECST aborde deux moyens: l'hydro-électricité et le stockage «chimique».

L'hydraulique

Comme produire de l'électricité à partir de lacs de barrage est une des formes les moins technologiquement avancées et les moins chères, la plupart des sites intéressants pour y installer des barrages sont occupés. Ceux qui sont libres ont un intérêt touristique et il est aussi légitime que les habitants souhaitent conserver une partie des vallées sans lac. En Europe, il existe peut-être encore des possibilités en Suisse et en Autriche, mais cela ne suffira pas face aux perspectives de développement des énergies renouvelables intermittentes. En France, sur 12GW de puissance pour l'ensemble des lacs de barrage, seuls environ 5GW sont disponibles pour le pompage.

Le stockage dans les barrages se base sur la gravité, les rendements sont bons, supérieurs à 70% sur l'aller-retour. L'énergie stockée est égale au produit de trois termes: l'accélération de la pesanteur, la masse d'eau stockée et la hauteur de chute. C'est pourquoi les sites montagneux sont les plus intéressants, on arrive à y créer des installations où la hauteur de chute vaut environ 1000m et où les volumes d'eau stockés dans la retenue peuvent dépasser la centaine de millions de m³. Dans le cas des stations de pompage, il faut en plus disposer d'une deuxième retenue en contrebas. Elle est souvent de capacité bien inférieure, de l'ordre de 10 fois moins, ce qui limite l'usage du stockage. Par exemple, le barrage de Grand'Maison a une retenue supérieure de 130M de m³, une hauteur de chute de 925m et une retenue inférieure de 14M de m³, ce qui limite le stockage à environ 37GWh.

Comme tous les sites de montagne sont équipés, on se tourne vers les sites marins, là où il y a des falaises. Un prototype a été construit sur l'île d'Okinawa. Le rapport reprend cette idée — tome 1 p58 sq , tome 2 p171 sq — avec un projet qu'a EDF à la Guadeloupe de construire une centrale du même genre. Le représentant d'EDF a donc présenté une centrale de 50MW, avec une capacité de 20h de fonctionnement continu — soit 1GWh — et une hauteur de chute de 50m. Ce qui veut dire que la retenue supérieure a une contenance d'environ 7M de m³, soit un lac de 35ha et profond de 20m ... le tout au sommet d'une falaise de 50m. Cette usine ne passera pas complètement inaperçue.

Le représentant d'EDF indique aussi qu'on pourrait installer 5GW de la sorte sur les côtes françaises (T2 p183), ce qui ferait donc une centaine d'usines. Le rapport est assez enthousiaste, puisqu'il déclare que les STEP marines constitueront une solution particulièrement bien adaptée pour la stabilisation de l’électricité produite par les parcs d’éoliennes offshore (T1 p59). Cependant, il y a quelques raisons de penser que les attentes seront déçues. Il n'existe ainsi aucun site équipable entre Quiberon et l'embouchure de l'Adour, ni de Perpignan à l'embouchure du Rhône. C'est assez gênant pour la stabilisation de la production des parcs offshores au large de l'embouchure de la Loire, l'appel d'offre gouvernemental y prévoyant déjà jusqu'à 750MW. Ensuite, les falaises sont souvent des espaces protégés et/ou fréquentés assidûment par les touristes. On peut ainsi citer le cap Fréhel, Étretat, le cap Fagnet ou le cap Blanc-Nez. Le problème n'est pas tant que d'arriver à en implanter quelques-unes, mais d'en implanter plusieurs dizaines. Ce qui fait qu'au lieu des 5GW vus par le représentant d'EDF, on aura sans doute 5 fois moins, alors que rien que pour le premier appel d'offre d'éolien en mer, il est prévu entre 2 et 3GW et que l'objectif d'ici 2020 est de 6GW.

La chimie et les carburants synthétiques

Le grand succès des combustibles fossiles tient à leur densité d'énergie qu'on peut dégager par combustion combinée à leur stabilité chimique par ailleurs. Par exemple, le méthane a un pouvoir calorifique d'environ 15kWh/kg, les carburants classiques donnant des résultats comparables. La plupart des carburants classiques se trouvant sous forme liquide, ils ne forment immédiatement pas des mélanges détonants, ils ne sont pas outrancièrement toxiques. Leur origine est la végétation préhistorique; le pétrole et le charbon mettent quelques centaines de millions d'années à se former. Dans l'optique de se débarrasser des combustibles fossiles, trouver des remplaçants ou de nouvelles façon de les fabriquer est donc extrêmement tentant et intéressant.

Certes, le rendement qu'on peut attendre d'une combustion est inférieur à ce qu'on peut attendre d'une technique comme les barrages, mais on gagne très nettement en compacité. Cela dit les CCGT atteignent des rendements de 60%. Leur forte puissance et leur coût raisonnable leur permettra d'être le moyen privilégié de production d’électricité à partir de la combustion de gaz. Dans le secteur des transports, les rendements peuvent monter jusqu'à 50%, mais le rendement moyen pour une voiture est plutôt de l'ordre de 20%. Là des piles à combustible et des batteries pourraient remplacer les moteurs à explosion, mais ces deux solutions ont leurs propres problèmes: coût très élevés et limites posées par les gisements de minerais.

Tous les procédés ayant en vue la fabrication de carburants synthétiques se basent sur la capture du CO₂ ou la création d’hydrogène. Le cas présenté à l'office repose sur les 2, de façon à absorber les excès de production d'électricité. Pour l'occasion, un représentant d'Areva, entreprise qui voit sans doute là l'occasion de se diversifier dans une activité avec de moindre risques politiques, vient présenter les travaux d'un GIE formé avec des spécialistes des gaz, Air Liquide et GDF-Suez (T1 p59 sq, T2 p173 sq). La marche suivie serait de capturer le CO₂ actuellement émis par les cimenteries puis de le transformer en méthane, puis en diméthyl-éther ou en éthanol. Il déroule une démonstration qu'il ruine à la fin en révélant que les prix donnés sont basés sur un rendement du capital ridiculement bas.

Le scénario d'usage a aussi de graves faiblesses: si on se base sur la capture de CO₂ par les usines pour fabriquer les carburants synthétiques, la consommation de combustibles fossiles sera diminuée mais non éliminée. D'une part, parce que la capture du CO₂ ne sera pas parfaite. D'autre part, l'utilisation par les automobiles des carburants synthétiques amène à ouvrir le cycle et à devoir se réapprovisionner en composés concentrés en carbone, c'est-à-dire en fait en combustibles fossiles. Il paraît en effet peu probable que capter le CO₂ atmosphérique soit viable, étant donné qu'il ne représente que moins de 0.05% en volume de l'atmosphère. On pourrait penser se baser sur des composés azotés, mais ils sont tous toxiques ou instables. Créer de grandes quantités d'hydrogène nécessite aussi de grandes quantités d'eau, créant une compétition pour son usage et incitant à placer les usines en bord de mer, en compétition avec de nombreuses activités économiques.

Tous ces procédés consomment de l'énergie, d'abord pour créer de l'hydrogène. L'électrolyse est un procédé bien maîtrisé, les rendements sont de l'ordre de 80% (exemple). Le problème de l'hydrogène est que c'est un gaz très difficile à liquéfier et finalement peu énergétique par unité de volume. Il faut donc consommer relativement beaucoup d'énergie pour le stocker soit pour le transformer en autre chose (comme du méthane). Si on admet que ces opérations supplémentaires ont un rendement total de 80%, et que le gaz est brûlé dans une centrale à cycle combiné, le rendement global atteint environ 40%, ce qui n'est pas terrible.

Quelles conséquences?

Il est intéressant de faire quelques calculs pour voir ce que donnent les procédés de stockage dans le cas où on voudrait se passer totalement de combustibles fossiles et se baser sur différents modes de production «primaire» — c'est-à-dire avant stockage — d'électricité. Les cas donnés ci-dessous sont simplifiés à l'extrême et amplifient les besoins de stockage. Je pense qu'ils donnent tout de même quelques informations intéressantes.

Commençons d'abord par supposer qu'on puisse, malgré les difficultés, se baser uniquement sur un stockage d'efficacité égale à 40% et que la production d'électricité «primaire» soit constante dans le temps avec des installation qui ont un facteur de charge de 70%. La consommation finale, elle, connaît deux états, un où la consommation vaut 30GW, l'autre où elle est de 90GW pour une moyenne de 60GW. Cela correspond à une consommation de 525TWh, 10% plus élevée que celle de la France. On trouve que la puissance «primaire» installée est d'environ 100GW, ce qui est une augmentation conséquente par rapport au cas français, où, en cumulant nucléaire et barrages au fil de l'eau, la puissance primaire installée ne produisant pas de CO₂ est d'environ 70GW. Elle reste cependant raisonnable. Les capacités pour le stockage le sont moins, puisqu'il faut les usines absorbent 40GW. Cela dit, le modèle à deux états ne correspond pas à la réalité, où la consommation reste en fait proche de 60GW une bonne partie de l'année, sauf au mois d'août et dans les périodes les plus froides de l'hiver. On bénéficie aussi d'un stockage «gratuit» avec les lacs de barrage qui se remplissent en grande partie grâce aux précipitations. Mais on peut voir que les coûts induits par une technique de stockage peu efficace ne sont pas mineurs, ce qui explique qu'on se soit limité à la solution efficace, le pompage, et encore dans des proportions de l'ordre de 1% de la production totale. Le complément est assuré par les centrales thermiques à combustibles fossiles.

Si on se tourne maintenant vers un moyen de production intermittent dont le facteur de charge moyen est de 25% mais dont la production évolue entre deux états, un où la production est de 70% de la capacité installée et l'autre où il n'y a pas de production. La consommation finale est estimée fixée à 60GW. Avec un rendement du stockage de 40%, les puissances à installer sont extraordinaires: plus de 400GW de capacité primaire, les installations de stockage doivent être capables d'absorber plus de 200GW, etc. Bien sûr, c'est une représentation caricaturale des énergies renouvelables intermittentes, mais il reste certain que ce type de source primaire entraîne plus de besoins de stockage et plus de besoins de production primaire, dans des proportions importantes.

Le dernier point à prendre en considération est que les installations de stockage doivent fonctionner à l'envers de l'économie en général: la nuit et en plein été car la moindre consommation à ces moments rend plus probable qu'on y ait des surplus d'énergie. Cela posera sans doute des problèmes sociaux si cette industrie est amenée à prendre une grande ampleur.

Pour conclure, avec les rendements des moyens actuels de stockage, il est illusoire de vouloir se passer de combustibles fossiles. Même si la recherche permettait de découvrir des moyens plus efficaces et plus faciles à généraliser, l'OPECST ne voit pas de déploiement à grande échelle avant une vingtaine d'années et on ne peut que lui donner raison. Le problème de la source primaire se pose aussi: une source intermittente et fatale oblige à prévoir plus d'investissements pour le stockage, car en plus de devoir faire à face aux variations de demande, il faut faire face aux variations de production. Les coûts pour les consommateurs sont donc nettement plus élevés, ce qui amène à douter de la compétitivité de systèmes basés sur de l'éolien et du solaire photovoltaïque, soutenus par des systèmes de stockage. La tentation sera grande de se reposer sur les stocks légués par le passé: les combustibles fossiles.