Hier, Verel signalait la publication par le Monde daté de vendredi 5 d'une page de tribunes consacrées aux débats sur l'immobilier et le changement de direction du gouvernement en la matière. N'étant pas abonné, je n'avais accès qu'à la tribune de Cécile Duflot, ancien ministre du logement, etc. Cela n'étonnera personne que je sois en désaccord avec elle et que je trouve la défense de son bilan absolument renversante.

Une des tribunes relevait que les investisseurs institutionnels avaient fui le marché locatif des logements et une autre, écrite par un PDG du secteur du BTP, relevait l'avalanche de normes nouvelles. Ces deux points sont importants: ils expliquent une partie des affres français du logement et pourquoi certaines mesures de la loi ALUR étaient néfastes.

Le faible rendement financier de l'investissement en logements

Contrairement à Cécile Duflot, je ne pense pas que l'obsession de la rente (soit) l'ennemie de la production de logement et soit à l'origine des problèmes français du logement — en fait des grandes villes françaises. En effet, les obsédés de la rente seraient sans doute très tentés d'investir dans des logement pour en tirer encore plus de rentes si le rendement était bon. Inversement, si le rendement est franchement mauvais, il n'y a guère d'alternative que les associations philanthropiques ou les subventions. Or, tout pointe vers une dégradation des rendements locatifs depuis le début des années 2000.

Sur le site du ministère du logement, on trouve des données rassemblées par Jacques Friggit qui étudie le secteur du logement depuis longtemps déjà. On peut donc trouver parmi ces données le graphe suivant qui montre que le prix d'achat d'un logement a nettement plus augmenté que les loyers. rdt_locatif_fr.jpg En conséquence, les investisseurs institutionnels ont fui, comme on en a eu des échos anecdotiques, sous la forme de l'émoi face aux ventes à la découpe qui engendré une loi en la matière pour que les occupants du logement bénéficient de tarifs préférentiels. Cela dit, il reste des logements possédés par des investisseurs institutionnels. Pour connaître le différentiel de rendement, on peut consulter des documents de foncières cotées en bourse. Comme elles sont tenues de valoriser leur patrimoine au prix du marché, on peut connaître le rendement. Il se trouve que la place de Paris compte un exemple de foncière, dotée d'une filiale spécialisée dans les logements, fort utile. La foncière mère a publié une présentation sur ses comptes semestriels 2014 où on trouve p23 le tableau ci-dessous. rdt_cptes_FDR_2014S1.jpg Pour la filiale dont le patrimoine français est principalement concentré à Paris, j'ai pris les comptes de 2013 (p11): rdt_cptes_FDL_2013.jpg

À la vue de ces chiffres, il n'est pas bien difficile de comprendre pourquoi les institutionnels ont fui: après tout s'ils peuvent obtenir de bons rendements, ils veulent bien supporter des tracas administratifs. Ce qui veut dire en passant que le coût de ces derniers sont reportés sur les locataires. Mais s'il y a un rendement bien supérieur dans une activité connexe où le marché est moins régulé, pourquoi se fatiguer?

Cela montre aussi l'inanité de la comparaison avec l'Allemagne sur le contrôle des loyers. En Allemagne, les prix du m² semblent proches de 1000€ dans de nombreuses villes. Pas étonnant dans ces conditions qu'on puisse à la fois avoir de forts rendements locatifs et des loyers bas. Il est aussi peu surprenant que le contrôle des loyers n'y soit pas vu comme une contrainte: avec des rendements au-delà de 6%/an brut, il n'y a pas de difficultés à trouver des preneurs. À l'inverse, en France, les rendements sont déjà bas, surtout à Paris, ce qui veut dire que plafonner les loyers mène à une baisse de l'activité de construction et surtout un moindre entretien des immeubles, d'où à terme un parc de logements à louer qui se dégrade.

Enfin, l'effondrement des rendements n'est pas sans poser de questions. La première approche est de considérer que c'est une situation passagère — c'est la position de Jacques Friggit si on lit ses 200+ planches — et qu'au fur et à mesure, les prix à l'achat reviendront sur leur moyenne de long terme. L'autre approche est de considérer que la situation va perdurer — ce que je pense. Les politiques menées ont combiné restriction du foncier et empêchements divers à rallier les centre-villes. Il faudrait le vérifier, mais on a dû assister à une éviction des locataires au profit des propriétaires-résidents dans le centre de villes comme Paris.

Les normes

Étant donné la situation actuelle de prix élevés, le gouvernement a tout intérêt à ne pas augmenter les prix de construction via une inflation normative. En effet, si les prix de la construction restent contenus, cela place une limite à l'inflation des prix immobiliers dans leur ensemble. Si les prix montent trop, on aboutit à un surcroît de construction. Or, la démarche suivie depuis quelques années va en sens inverse.

Un premier exemple est celui de la réglementation thermique qui vise à limiter les consommations d'énergie pour le chauffage. Pour la RT2005, l'arrêté technique comptait 28 pages, le manuel pour calculer les performances — plus difficile à trouver — comptait 192 pages. Pour la RT 2012, il y a maintenant 2 arrêtés techniques, celui qui concerne les logements compte 42 pages. Quant au manuel, c'est un beau bébé de 1379 pages. Certes, cette évaluation «au kilo de papier» n'est pas forcément proportionnelle à l'évolution de la complexité de la norme, mais on peut tout de même supposer que si on a besoin d'un manuel 5 fois plus long, c'est qu'il y a plus de choses à mesurer, plus de choses à prendre en compte, plus de justifications à donner, etc. Bref, non seulement les performances demandées ont augmenté, mais il y a un surcroît très notable de complexité et sans doute de justifications.

Un deuxième exemple est celui de la réglementation pour l'accessibilité aux handicapés. Tous les logements neufs doivent s'y conformer. Une nouvelle fois le ministère du logement met à notre disposition un site expliquant en quoi consistent les aménagements. Pour essayer d'évaluer l'impact sur le prix à confort équivalent, regardons l'effet sur un 2-pièces. Les 2-pièces neufs ont souvent une surface d'environ 42m². La circulaire nous dit qu'il faut laisser dans les WC, en plus de l'espace habituel, 1.30x0.80m² sur le côté de la cuvette — soit un agrandissement du cabinet d'un peu plus de 1m². Dans la salle de bains, il faut laisser libre un disque de 1.5mètre de diamètre: du fait de l'aménagement habituel, il s'agit d'un carré libre de 2.25m². Dans mon appartement — un 2-pièces — ce dégagement mesure environ 1m². On voit qu'il y a sans doute une perte de surface de l'ordre de 2m² sur l'appartement, soit environ 5% de la surface. En d'autres termes, l'immobilier est renchéri de 5% pour les habitants de 2-pièces. On peut aussi quantifier cela en termes financiers: avec du neuf à un peu plus de 4000€/m², on arrive à un surcoût de 8k€ …

Ce n'est pas que ces normes soient mauvaises en elles-mêmes: c'est même plutôt l'inverse, elles partent d'une bonne intention. Cependant, le résultat est un renchérissement du prix des logements. Pour les locations, ce surcoût doit se répercuter dans les loyers, faute de quoi le marché locatif ne voit pas de nouveau logements — hors subventions. On peut espérer des gains de productivité dans le secteur du BTP, mais c'est plutôt l'inverse qui s'est produit: le coût de la construction s'est élevé ces dernières années. Comme le notait Étienne Wasmer dans une interview après avoir remis son rapport sur l'immobilier locatif, il y a sans doute un problème de concurrence. Il n'est cependant pas dit que ce problème puisse se régler rapidement.

Le constat reste cependant qu'il y a sans doute un grand nombre de normes qui sont venues s'ajouter au cours des 15 dernières années et que la tendance est à la continuation de l'inflation normative: à titre d'exemple, le prochain projet de loi sur l'énergie risque d'être un grand pourvoyeur. Dans ce domaine il faut choisir: soit des normes tatillonnes et des prix élevés, soit des normes plus simples et un espoir de baisse (relative) des prix.

Pour conclure, dans le domaine de l'immobilier comme dans d'autres, il faut choisir et les bons sentiments ne font pas de bonne politique. Si les rendements locatifs sont bas, il y aura forcément une pression à la hausse sur les loyers et à la baisse sur les frais d'entretien. Une autre alternative est l'éviction progressive des locataires au profit de propriétaires-résidents. Mettre en œuvre un contrôle des loyers en France, alors que les rendements locatifs y sont bas aurait un impact à long terme néfaste. En Allemagne, où les rendements sont élevés, le contrôle des loyers ne sert à rien: il n'y a pas vraiment de pression sur les prix! Si on veut que les prix baissent ou au moins se stabilisent en France, il faudrait construire plus dans des zones déjà densément peuplées ou alors permettre de rallier le centre plus rapidement: aucune des 2 politiques n'a été suivie. Sur les normes, elles ne sont sans doute pas responsables à elles seules des problèmes du logement en France, mais à force d'empiler des normes qui renchérissent les logements neufs, personne ne peut plus en acheter.