L'année dernière, j'avais regardé si l'éolien et le solaire pourraient avoir une chance de survivre sans les subventions accordées aujourd'hui, à savoir être construites pour l'argent encaissé en revendant l'énergie produite sur le marché de gros. La réponse que j'avais apportée alors était négative: sans subventions ou prix garanti les productions éoliennes et solaires ne pourraient pas survivre ou, en tout cas, aucune nouvelle infrastructure ne serait construite. En regardant sur l'année 2013, ce verdict est confirmé.

L'électricité d'origines éolienne et solaire ont pour caractéristique commune d'être à coût marginal nul. Produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire qui a déjà investi dans sa machine et paye son entretien qu'elle produise ou pas. La production possible dépend uniquement des caprices de la météo. Les producteurs sont aussi très dispersés car une seule machine n'est pas extrêmement chère à construire. Ces 3 éléments transforment ces formes de production d'électricité en preneurs de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau. Actuellement, les producteurs d'électricité éolienne ou solaire sont protégés de cette réalité par les tarifs de rachat qui leur assurent un prix de vente à l'avance.

En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.

Pour regarder la situation, j'ai récupéré les prix sur Epexspot à l'aide d'un script perl. Pour la France, on peut récupérer les données détaillées de production sur éco₂mix. En Allemagne, il n'existe rien qui soit aussi détaillé … et gratuit. On connaît les productions éoliennes et solaires grâce à une directive européenne qui oblige à la publication. Ces données sont récupérées par P.-F. Bach, un ingénieur à la retraite danois. Les données récupérées ont été placées dans 2 fichiers LibreOffice: l'un pour la manipulation des données de RTE, l'autre pour les calculs qui donnent les prix.

La situation en Allemagne

L'Allemagne est marquée par une situation de surproduction, causée par la construction de centrales au charbon — dont le prix est bas en ce moment du fait de l'afflux de gaz de schiste aux USA — et par l'ajout de plus de 30GW de panneaux solaires et 30GW d'éoliennes. En conséquence le prix de base est bas (~38€/MWh). Le solaire emporte environ 1€/MWh de moins et l'éolien vaut plutôt 32€/MWh en moyenne. On note, même si la corrélation directe est faible, que chaque GW de production éolienne retire 1.3€/MWh au prix spot de l'électricité.

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La situation en France

La France n'est pas marquée par la même situation, car le développement des énergies renouvelables s'y est fait à un rythme nettement moins intense. La crise pèse toutefois sur la consommation et par conséquent sur les prix. Le prix de base est de 43.5€/MWh, le prix pondéré par la consommation ~47€/MWh, l'éolien et le solaire ainsi que la catégorie "autres" fait de productions subventionnées (biomasse, etc.) ou marginales (comme l'usine de la Rance) sont les seules productions dont le prix est inférieur au prix de base (42€/MWh pour l'éolien, 43€/MWh pour le solaire). L'impact de l'éolien paraît relativement plus fort qu'en Allemagne avec un impact de 1.4€/MWh en moins par GW supplémentaire éolien produit, même si la corrélation paraît pour l'instant faible.

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Quelles conséquences?

On peut constater avec 2 ans de données que les sources aléatoires d'électricité ont un prix inférieur au prix moyen. En conséquence, l'éolien et le solaire devront avoir un coût inférieur au prix moyen de l'électricité pour que des installations soient construites sans subvention. De plus, ce différentiel à couvrir grandit à mesure que les capacités installées augmentent: au fur et à mesure que des installations — actuellement subventionnées — sont construites, le coût à atteindre diminue et d'une certaine façon le jour où l'éolien et le solaire seront rentables sans subvention s'éloigne. Aujourd'hui en Allemagne, avec une production éolienne qui compte pour 8.5% de la production d'électricité, le différentiel de prix est de l'ordre de 15%: on voit mal ces moyens de production devenir dominants sans que les subventions ne perdurent sous une forme ou une autre.

De plus, en produisant de façon aléatoire, ces sources d'électricité dégradent la rentabilité des autres moyens de production. Ces autres moyens de production sont pour une bonne part pilotables et répondent à la demande. Mais comme leur rentabilité diminue, personne n'a vraiment intérêt à en construire. À terme, l'adéquation entre l'offre et la demande pourrait ne plus être assurée ou, dit autrement, le risque de black-out augmente. Il est douteux que nos démocraties laissent cette situation s'installer et on s'oriente vers un système où ces centrales seraient payées pour leur disponibilité et non pour l'énergie qu'elles produisent.

Au final, on voit mal comment l'organisation actuelle du marché pourra perdurer à long terme. Les productions intermittentes éolienne et solaire ont vocation à se développer, du fait de leur popularité auprès des politiques et de la nécessité de la lutte contre les émissions de CO₂. Le problème est qu'on voit mal comment ces sources intermittentes peuvent trouver un arrangement acceptable en dehors de prix déterminés par l'état: elles n'ont rien d'autre à offrir que l'énergie qu'elles produisent et n'ont aucun pouvoir de marché. Mais cet avenir de prix déterminés par l'état est pour l'instant meilleur que la situation des moyens pilotables. C'est notamment l'analyse de GDF-Suez qui n'envisage plus que de construire des moyens de productions subventionnés ou au prix garanti. Pour les moyens pilotables, on s'orientera vers un marché de capacité où on constate que les combustibles fossiles règnent en maîtres grâce à des coûts d'investissements faibles. Un premier risque est alors que les objectifs de réductions des émissions ne soit pas atteint à l'horizon 2030 ou 2040. Un deuxième risque est que les consommateurs ne veulent pas payer 2 fois pour la même chose, et qu'une confrontation sans fin s'ouvre et que le risque de black-out ne fasse qu'augmenter. Enfin, le risque est que la concurrence soit très limitée dans le domaine des énergies renouvelables: comme le prix sera déterminé par décret, aucune entreprise ne sera incitée à proposer un prix inférieur. Si on voit bien que l'organisation actuelle n'est pas soutenable, celle qui finira bien par apparaître n'est pas nécessairement meilleure que les anciens monopoles nationaux du point de vue du consommateur!