Delphine Batho, ministre de l'écologie, etc., a lancé le fameux débat sur la transition énergétique jeudi dernier. Cela a donné lieu à une offensive médiatique, puisque deux membres du comité de pilotage ont donné des interviews. Bruno Rebelle, ancien directeur de Greenpeace en France, a été interrogé par un média internet et s'est épanché sur son blog. Laurence Tubiana, ancienne négociatrice pour la France sur les problèmes climatiques, a fait de même dans Le Monde. Quant à la ministre, Les Échos sont allés lui poser quelques questions; elle s'est aussi exprimée sur Europe 1. En réponse, deux vétérans de ce genre d'exercice, Jean-Marc Jeancovici et Arnaud Gossement, ont déjà donné le fond de leur pensée sur leurs sites web respectifs.

Le communiqué ministériel mentionne une charte que le comité de pilotage devra faire respecter. Et c'est là que les problèmes commencent: comme le débat n'a pas de site internet propre et que ladite charte ne figure nulle part sur le site du ministère — en tout cas, je ne l'y ai pas trouvée — il faut aller ailleurs pour en prendre connaissance. On y lit, entre autres, que tout citoyen peut contribuer au débat national sur la transition énergétique, que ce soit en participant aux débats décentralisés ou en s’exprimant sur le site internet dédié: un lancement du site aurait sans doute été une bonne chose! On y lit aussi que l'organisation du débat est complexe avec moult comités, ce qui peut permettre au gouvernement de se livrer à un exercice de centralisme démocratique où il trouvera miraculeusement que ses idées sont partagées par une partie des comités.

Cette charte définit aussi les buts de ce débat. On s'aperçoit sans peine qu'il est déjà bien encadré par des décisions déjà prises et affichées comme irréversibles. Si toutes ces décisions étaient incontestables, comme celle de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, cela ne poserait pas de problème. Mais parmi ces décisions, il y a la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique et la fermeture de Fessenheim qui vont dans une direction directement opposée à la décision précédente. La charte dit aussi que le débat doit contribuer à définir la façon la plus pertinente écologiquement, la plus efficace économiquement et la plus juste socialement, de la conduire pour atteindre l’objectif retenu pour 2025, et, au delà, mettre l’économie et plus globalement la société française sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de 2050. On ne peut que constater que tous ces objectifs ne sont pas forcément tous compatibles. Juste pour prendre un exemple, s'il s'agit de développer les énergies renouvelables, l'exemple allemand sur l'électricité montre qu'on voudra épargner l'effort aux grandes entreprises, mais qu'il tombera entièrement sur les particuliers et les petites entreprises. C'est sans nul doute efficace économiquement: les grandes entreprises énergivores sont très sensibles au prix de l'énergie. Mais par contre, ce n'est pas forcément juste socialement, surtout quand ça aboutit à faire subventionner ces grandes industries par des particuliers qui n'en peuvent mais!

On sent dans les réactions des 2 vétérans cités qu'ils sont un peu las et blasés. À les lire, il n'y a pas grand chose à attendre de ce débat, vu qu'un certain nombre de décisions dimensionnantes — idiotes ou pas — ont été déjà prises et que nombre de raouts du même genre ont eu lieu ces dernières années. On peut citer le Grenelle de l'Environnement, le rapport de la mission Énergies 2050, diverses missions de parlementaires, comme celle de l'OPECST sur le futur du nucléaire en France ou du sénat sur le prix de l'électricité, ou encore de très nombreux rapports publics, comme sur l'énergie dans les bâtiments ou la politique de soutien à l'éolien et au solaire photovoltaïque, les coûts du nucléaire, etc. Bref, ce n'est pas la documentation qui manque et on peut déjà, à mon sens, en retirer des choses sur la politique à mener. La lecture de ces document montre qu'on doit faire un très important effort d'économies d'énergie (isolation des bâtiments,…), d'efficacité énergétique et installer des moyens de production d'énergie décarbonée par ordre de prix et d'utilité. Un autre facteur de la lassitude des vétérans est sans doute que cette masse de documents n'a pas apaisé le débat sur les questions les plus passionnelles — le nucléaire au premier chef.

Malheureusement, on ne peut pas dire qu'on voit des signes positifs poindre à l'horizon sur aucun de ces fronts. Par exemple, Greenpeace a annoncé ne pas vouloir participer à ce débat tout comme Greenpeace avait refusé de participer à la mission Énergies 2050. Les interventions de la ministre laissent aussi penser que 6 mois au pouvoir n'ont pas suffi pour assimiler quelques idées ou encore des ordres de grandeur sur la question. C'est ainsi que l'interview aux Échos est titrée L'énergie est un levier de relance majeur. Dans le corps de l'interview, cette phrase est accolée à L'éolien offshore créera aussi beaucoup d'emplois, ce qui montre qu'elle n'a pas compris que l'énergie ne pouvait être un levier de relance que si elle était à un prix raisonnable. Sur Europe 1, elle a déclaré qu'il était possible de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables comme la biomasse, les hydroliennes, etc tout en abaissant les émissions de CO₂. Or, de fait, les ordres de grandeurs ne collent pas: les seuls scénarios où les émissions baissent quand même sont ceux où la consommation d'électricité baisse et où tout l'accent est mis sur des économies d'énergie, qui doivent couvrir à la fois baisse du nucléaire et réduction de la consommation des énergies fossiles. Comme on a déjà du mal, sauf crise économique, à réduire suffisamment vite la consommations de combustibles fossiles pour remplir l'objectif d'une division par 4 des émissions en 2050, la mission devient totalement impossible en réduisant la production du nucléaire. Dans leurs interviews Rebelle et Tubiana citent le modèle décentralisé où chacun serait producteur et consommateur, mais ce qu'on constate c'est que le développement du solaire et de l'éolien ont amené l'explosion du prix de l'électricité à cause du prix de ces énergies et au besoin de renforcer considérablement le réseau.

Le principal point positif que les 2 vétérans entrevoient, c'est que ce débat participe à l'information du public. Personnellement, je doute que ce soit ce débat améliore plus la situation que ce qui a déjà été fait en la matière. La plupart des gens n'ont pas le temps d'assimiler ne serait-ce qu'un résumé sommaire de toute la documentation accumulée sur le sujet. Ces grands débats publics ont pour caractéristique de passer inaperçus auprès du public. Quand ils accèdent à une certaine notoriété, ça peut être à cause d'une transformation en défouloir, comme pour le funeste débat sur l'identité nationale. Étant donné la complexité de la matière, j'ai assez peu confiance dans la presse pour informer les citoyens sur ce sujet! Par exemple, le chauffage électrique y est souvent décrit comme une gabegie, alors que les document du Bilan Carbone montrent qu'au contraire, le chauffage électrique est le mieux placé en termes d'émissions de CO₂. Pour ma part, je considère que ce débat souffre énormément des promesses inconsidérées de François Hollande, qui amènent à devoir courir un marathon en s'étant tiré une balle dans le pied au départ. Si on arrive simplement à éviter ou inverser des décisions calamiteuses, comme la diminution de la production nucléaire, le bilan de ce débat sera déjà bon!