Durant la campagne présidentielle, les socialistes et François Hollande ont dit qu'ils voulaient instituer une tarification progressive de l'énergie, partie intégrante de leur politique énergétique déplorable. Comme c'était prévisible, les projections de RTE montrent que le mix électrique prôné durant la campagne va provoquer une hausse des émissions de CO₂ par le secteur de la production d'électricité. La raison était déjà connue de longue date: les énergies renouvelables à la mode, solaire photovoltaïque et éolien, sont intermittentes ce qui suppose qu'elles sont suppléées par des centrales dont les coûts dépendent avant tout du prix du combustible comme des centrales au gaz.

François Brottes, qui était chargé du dossier «énergie» au sein de l'équipe de campagne de François Hollande, a donc déposé une proposition de loi. Elle ne déroge pas à ce qu'on pouvait craindre: pour fonctionner, une intrusion supplémentaire dans la vie privée des gens est nécessaire, le niveau de détail demandé va transformer ce système en usine à gaz, le tout sans bien sûr assurer que les buts soient atteints ni que ceux-ci soient légitimes

Le modèle de fonctionnement

La proposition de loi ne recèle pas que des dispositions sur la tarification progressive: par exemple, elle veut aussi étendre le bénéfice des tarifs sociaux à plus de gens. Actuellement, le coût des tarifs sociaux est modique, cette extension ne devrait pas changer cet état de fait. On laissera de côté ces dispositions, la tarification progressive étant le cœur réel de la proposition de loi.

L'idée de base de la tarification progressive est qu'il est possible de déterminer trois types de consommation d'énergie: le minimum vital, le normal et le gaspillage. Ces trois types de consommation sont délimités par des seuils d'énergie consommés qui définissent des bandes où le prix du kWh est différent: bas pour la zone frugale, haut dans la zone de gaspillage. La question qui se pose immédiatement est de savoir comment déterminer ces seuils. L'auteur de la proposition de loi précise que les seuils seront modulés en fonction de la zone géographique et de la taille du ménage. Comme il existe plusieurs moyens de se chauffer, il va falloir demander aux gens comment ils se chauffent. Et d'exiger que tout le monde précise le moyen de chauffage de sa résidence principale sur sa déclaration de revenus, chose sans doute très naturelle dans un pays où on y demande déjà aux gens s'il possèdent une télévision, mais qui est très clairement une intrusion dans la vie privée dont on va voir qu'elle n'est sans doute inutile et contre-productive.

Il va aussi falloir découper le territoire français en zones où les besoins de chauffage seront déterminés. Manque de chance, dans un rapport de 2008 intitulé Économie et substitution d'énergie dans les bâtiments, on peut lire que les besoins «objectifs» de chauffage varient d'un facteur 3 au sein du département des Alpes-Maritimes (p20). On voit donc que le découpage s'annonce sportif et qu'il risque d'y avoir un lobbying intense pour être bien classé dans certaines régions. Ajoutons à cela qu'il existe aussi des logements qui se chauffent avec 2 énergies: en effet, au cours du temps, les combles de nombre de maisons ont été aménagés, étendre le réseau d'eau chaude des radiateurs étant plus coûteux que d'installer des radiateurs électriques, ce sont ces derniers qui ont été choisis. Cocher la bonne case pour ces logements requerra une lecture attentive des factures respectives.

Encore plus gênant: il existe des possibilités de substitution entre énergies mais toutes ne seront pas soumises à la nouvelle tarification. Certes, on peut soit souhaiter ces substitutions — comme encourager le chauffage au bois — soit penser qu'elles sont peu probables du fait du différentiel de prix — à 1€/L, le fioul vaut environ 100€/MWh alors que le gaz est facturé environ 70€/MWh. Comme la surtaxe maximale vaudrait dans un premier temps au maximum 30€/MWh, elle ne devrait pas avoir trop d'effets pervers. Si la proposition de loi ne soumet pas tout les sources d'énergie à la même enseigne, c'est que c'est impossible ou au moins — ne sous-estimons pas l'inventivité des ministères — très compliqué. Les seules énergies taxées présentent l'immense avantage d'être distribuées par un réseau: chaque consommateur a un seul fournisseur à chaque instant. Pour le fioul, le bois, le GPL, rien de tout cela: on peut s'approvisionner auprès de plusieurs sources au cours de l'année sans que le gouvernement ne puisse savoir combien on a consommé. Il ne faut pas se faire d'illusion: ce n'est pas parce que l'énergie est un bien de première nécessité qu'une telle tarification est instituée, mais parce que l'état en entrevoit la faisabilité. La nourriture, bien de première nécessité s'il en est, ne peut faire l'objet d'une telle tarification. Outre qu'il est aussi extrêmement compliqué de définir dans ce domaine la frugalité et l’exubérance, le nombre de fournisseurs et de façons de se nourrir rend l'aventure totalement impossible. Dans le cas des énergies hors réseau, on se retrouve dans le même cas de figure.

On trouve aussi dans la proposition de loi des dispositions qui tiennent du bizarre. C'est ainsi que les résidences secondaires seront exemptées. Pourtant, posséder une résidence secondaire ne dénote pas une frugalité hors du commun, au contraire. La raison à la base de cette exemption, c'est que ne pouvant faire la somme des consommations de la résidence secondaire et celles de la résidence principale, d'autant qu'on peut avoir des fournisseurs différents pour les deux, l'état ne peut pas déterminer dans quelle tranche tombe ce consommateur pour sa consommation globale. Remarquons aussi qu'un décompte séparé amènerait certainement à subventionner les consommations dans la résidence secondaire et, par ses séjours dans sa deuxième résidence, l'heureux propriétaire terrien verra sa consommation d'énergie dans sa résidence principale diminuer: il paiera donc moins à consommation totale égale que la malheureux qui passe plus de temps dans son unique résidence. On trouve aussi une disposition sans précédent: les locataires pourront imputer les surcoûts imposés par la surtaxe qui ressortiraient du chauffage sur leur loyer. Pour les locataires qui se chauffent au gaz et qui aiment les appartements surchauffés, c'est une aubaine: une partie de l'énergie nécessaire pour obtenir une température au-dessus de la température définie par décret sera payée par le propriétaire. L'auteur de la loi se justifie en affirmant que les locataires ne sont pas responsables de la mauvaise isolation du logement qu’ils occupent et ne doivent pas être pénalisés par la tarification progressive. En clair, il entend corriger une imperfection de marché qui est que les locataires ne savent pas combien ils vont devoir payer avant d'entrer dans l'appartement et ne peuvent intégrer cette information lors de leur choix. Cependant, il existe aujourd'hui un diagnostic de performance énergétique, mais il n'indique rien du tout quant aux dépenses étant donné qu'il est libellé dans une unité incompréhensible — le kWh d'énergie primaire par m² et par an— qui n'a qu'un lointain rapport avec la facture réellement payée — pas plus d'ailleurs qu'avec les émissions de CO₂. Je me permets donc une suggestion: plutôt que de communiquer une information incompréhensible, pourquoi ne pas la présenter sous une forme facilement assimilable: la somme dépensée annuellement?

Se pose aussi la question de savoir si les buts sont véritablement atteints. Pour essayer de comprendre ce qui va se passer, un détour par un modèle très basique peut être utile. Selon la théorie économique standard, la quantité consommée est déterminée par la comparaison entre le prix d'achat d'une unité supplémentaire d'un produit avec le bénéfice qu'on en retire. On peut représenter cela par un graphique comme ci-dessous. La courbe des prix (ou d'offre) est plate dans le cas d'une tarification classique (courbe verte), elle est en paliers successifs pour la tarification progressive (courbe violette). Des courbes de demande qui représentent les bénéfices pour les consommateurs sont en rouge: les premières unités consommées apportent plus de bénéfices que les suivantes. Demande_morceaux_2.jpg On voit que pour le gros consommateur, la quantité consommée diminue en passant de C en D. Par contre le petit consommateur augmente et passe de A en B. Si le premier cas est bien le but recherché, le deuxième cas me semble un gros bug. On remarque aussi que s'il n'y a que ces deux types de consommateurs dans la population, le système ne s'équilibre pas: il n'y a plus que des subventions à la consommation! Ce cas n'est pas une vue de l'esprit, c'est ce qui s'est passé pour le bonus/malus sur les automobiles.

On me répliquera que le modèle montré n'est pas représentatif de la réalité. Cependant, la proposition de loi ne s'accompagne d'aucune étude d'impact — elles ne sont pas obligatoires. Par contre, la loi demande au gouvernement de remettre divers rapports, dont un pour voir si le système proposé fonctionne réellement: c'est l'article 2 de la proposition. Notons aussi que déposer une proposition de loi permet d'éviter l'étude par le Conseil d'État du projet de loi, des fois qu'il soulève de bêtes problèmes comme celui de savoir si l'état peut demander n'importe quoi aux gens sur la déclaration de revenus. Cette proposition de loi apparaît ainsi comme un projet de loi maquillé; il n'est pas dit que se servir du Parlement comme d'un faux nez du gouvernement revalorise réellement le rôle du premier. L'auteur semble aussi d'un optimisme modéré quant à se proposition puisqu'il écrit: l’analyse montre que le dispositif peut fonctionner : c’est l’essentiel. Le citoyen eut sans doute préféré que l'auteur vérifiât la réalité du fonctionnement avant de déposer sa proposition, surtout que ce même auteur déclare plus loin que l’apparente complexité du mécanisme proposé pour la tarification progressive résulte d’un choix mûrement réfléchi.

Peut-on faire mieux?

La complexité affichée est inacceptable quand on sait qu'il est en fait possible d'arriver aux buts affichés de façon nettement plus simple: sans demander d'information supplémentaire à la population, avec une consommation qui sera a priori en diminution pour tout le monde, sans avoir besoin de modifier les systèmes de facturation. Il y a évidemment une contrepartie: il n'y aura pas de micro-management de la population et des effets de substitution entre énergies pourront jouer. De toute façon, un des enseignements principaux de la théorie économique standard est que l'état est très mauvais quand il s'agit de régenter la vie de la population dans les détails. C'est aussi un principe de base de la démocratie que de penser que chacun a la capacité de décider quelles sont les meilleures décisions à prendre et que chacun peut distinguer l'utile et le superfétatoire en ce qui le concerne. Encourager les substitutions entre énergies peut aussi être un but légitime, comme on le verra plus loin.

L'idée est la suivante: pour chaque source d'énergie, on fixe une taxe d'accise sur la consommation. Le produit de cette taxe est proportionnel au volume consommé. La proposition de loi visait aussi à récompenser les petits consommateurs. On peut atteindre simplement ce but en alimentant un fonds avec le produit de la taxe dont on redistribue alors le produit en le divisant entre tous les habitants. La taxe existe déjà: elle ressemble comme deux gouttes d'eau à la TIPP, elle peut frapper toutes les sources d'énergie même celles qui ne sont pas distribuées par un réseau. Pour redistribuer le produit de la taxe, l'état n'a besoin d'aucune autre information que celles dont il dispose déjà. En reprenant le modèle basique du dessus, on obtient un nouveau graphique: Demande_continu.jpg On constate que tout le monde réduit sa consommation. Les gros consommateurs réduisent aussi leur consommation de façon plus importante. Ce système est aussi plus flexible: la proposition précise que le système doit s'équilibrer mais que l'état doit aussi contacter les ménages modestes pour leur donner de l'aide pour diminuer leur consommation d'énergie. Comme cette aide n'est pas financée par le système de la proposition, on voit mal les actions concrètes sur lesquelles cette prise de contact va déboucher. Il est par contre facile de remplir un fonds d'aide à l'aide du produit d'une taxe.

Les buts sont-ils vraiment légitimes?

On peut finalement se poser la question de la légitimité des buts. L'auteur de la proposition cite en premier lieu le renchérissement général de l'énergie qui s'est produit ces dernières années. À mon sens, il est impossible de justifier la tarification progressive de cette façon: si tous les prix de l'énergie augmentent, il n'y a pas de raison de différentier petits et gros consommateurs. Chaque unité d'énergie consommée coûte plus cher, qu'on soit un gros ou un petit consommateur: dans ce cas, il n'y a pas de segmentation réelle du marché de l'énergie avec des sources dont les prix n'augmenteraient pas.

L'autre point est qu'il n'est pas légitime de décourager la consommation d'énergie en général par ce qui s'apparente de fait à une taxe. Ce n'est légitime que parce que le prix facturé ne prend pas en compte tous les inconvénients du type d'énergie utilisé. Or les 2 inconvénients les plus importants sont le risque de tarissement de l'approvisionnement et les émissions de CO₂. On voit donc que les énergies qu'il faudrait le plus décourager sont les énergies fossiles. Comme le charbon n'est plus guère utilisé par les ménages — seuls concernés par la tarification progressive —, les premiers produits dont il faudrait décourager l'utilisation sont les dérivés du pétrole. Les alternatives aux carburants automobiles ne sont certes pas très crédibles pour le moment et déjà très taxées, mais dans le domaine du chauffage, le fioul apparaît comme la source d'énergie à laquelle s'attaquer en priorité. Il provoque l'émission d'environ 300g de CO₂ par kWh (source) et le pétrole est sans doute en voie de disparition. Le gaz naturel émet, lui, environ 220g de CO₂ par kWh. Les champs de la Mer du Nord ont globalement passé leur pic, le gouvernement fait profession de ne pas exploiter les gaz de schiste, l'approvisionnement européen va donc se compliquer, même s'il est prévu que l'approvisionnement mondial se maintienne plus longtemps que celui du pétrole. Quant à l'électricité, il est bien connu que grâce au nucléaire et à l'hydro-électricité, sa production est très peu carbonée en France. Les émissions moyennes sont d'environ 90g de CO₂ par kWh facturé. L'électricité présente de plus la caractéristique d'être soumise au système européen de quota d'émissions, ce qui fait que la taxer au titre des émissions de CO₂ conduit à faire payer le consommateur 2 fois. La sécurité d'approvisionnement est variable, puisqu'elle dépend de plusieurs facteurs: disponibilité et construction de centrales, possibilités d'importations de courant comme de matières premières. La matière première la plus courante dans la production d'électricité en France, l'uranium, ne devrait pas manquer à court terme. Clairement, toutes les énergies ne sont pas égales, elles devraient donc faire l'objet d'un traitement différentié.

Pour conclure, cette proposition de loi paraît surtout remplir des buts idéologiques, de punir de méchants gaspilleurs et de récompenser de gentils économes. Comme la définition de ces termes passe rapidement sur un terrain moral et sujet à nombre de variations, l'auteur s'embarque sur un système extrêmement compliqué de collecte d'informations et sur un système de tarification qui a des effets pervers. Le plus surprenant, c'est qu'il existe un système nettement plus simple — et qui serait donc nettement plus facile et rapide à implémenter! — qui laisse chacun maître de ses décisions sans jugement moral. En passant par une taxe d'accise, grand classique de la fiscalité, on peut remplir un fonds qui peut servir divers buts: faire des chèques aux électeurs, rénover des logements, etc. Il faut aussi rappeler que si des gens sont dans la précarité énergétique, c'est que ce sont souvent des indigents: le remède qui marche le mieux contre le manque d'argent est encore de distribuer des subsides. La logique qui sous-tend cette proposition est aussi entachée d'un gros vice: elle exclut la source d'énergie dont il faudrait se débarrasser le plus vite, les dérivés du pétrole. Comme en plus, les montants de la surtaxe ne sont pas donnés par énergie — on a juste des bornes générales — il est difficile de savoir si le niveau de variation est vraiment judicieux: il est difficile de débattre d'un système de taxation sans savoir quel sera le montant de la taxe! Bref, on peut faire mieux, beaucoup mieux.