Chaque année RTE, filiale d'EDF et propriétaire du réseau haute tension, met à jour son bilan prévisionnel, dont l'édition 2012 vient d'être publiée sur son site web. Comme l'année dernière, et malgré la baisse de la consommation constatée, RTE prévoit toujours un risque accru et significatif de défaillance électrique. Malgré un ton factuel et diplomatique, il permet aussi de percevoir les incohérences de la politique énergétique française, caractéristique qui risque malheureusement d'empirer sous la présidence de François Hollande, du fait de promesses malvenues.

Le problème de l'approvisionnement électrique

Comme le signale le document (p89), l’apparition d’une puissance manquante à l’horizon de quatre à cinq ans est une constante des différentes éditions du Bilan Prévisionnel: personne ne souhaite investir trop puisque cela ferait perdre de l'argent. Cependant, la vague de froid de l'hiver dernier montre que ce genre d'exercice n'est pas vain. Cette vague de froid était supérieure en intensité à celle prévue dans le scénario qui ne prévoit que les évènements extrêmes à l'échelle d'une décennie. Au mois de février dernier, la pointe enregistrée a dépassé les valeurs prévues dans les scénarios de RTE, y compris ceux présentés dans ce document. Les importations ont été très élevées à certains moments, avec un maximum de 9GW le 9 février, proche du maximum possible.

Les causes de ce manque sont connues. La consommation d'électricité est toujours sur une pente de long terme croissante, malgré la rupture que constitue la crise et les mesures prises pour augmenter l'efficacité énergétique. En conséquence, RTE prévoit que la pointe "décennale" va continuer à augmenter pour dépasser les 100GW après 2014 dans le scénario central. Les pics de consommation électrique sont principalement déterminés par la température extérieure qui provoque un besoin de chauffage plus important: lors de la vague de froid de février, RTE estime que 40% de la puissance appelée était due au chauffage électrique (p35). L'essor du chauffage électrique est toutefois freiné en ce moment par la nouvelle réglementation thermique 2012: cette réglementation défavorise nettement le chauffage électrique hors pompes à chaleur, ce qui réduit notoirement la compétitivité de ce mode de chauffage à cause du coût de la pompe à chaleur. Mais les usages comme l'informatique sont toujours en très nette croissance, ce qui va pousser à la hausse la pointe totale. De l'autre côté, les baisses de demande sont surtout à prévoir en cas de crise économique: l'importance de l'industrie, notamment de l'industrie lourde, ne cesse de baisser à cause de la recherche constante d'efficacité et encore plus à cause de la crise qui a stoppé nombre d'usines. En tout, RTE prévoit une hausse lente des pointes dans tous les scénarios sauf celui qui prévoit une crise économique durable.

De l'autre côté l'offre voit se développer l'éolien et le solaire, mais disparaître les centrales à combustibles fossiles. Si le solaire ne contribue que faiblement aux besoins lors de la pointe, l'éolien a une contribution lors des épisodes froids. En général, lors des vagues de froid sur la France, l'anticyclone qui en est la cause n'est pas centré sur notre pays, ce qui fait que le vent souffle ... au moins un peu. Mais cette contribution est très variable comme on peut le voir ci dessous (graphe p72, que j'ai annoté) contrib_eolien.jpg Si on voit bien l'intermittence sur ce graphe, on ne voit aucune corrélation entre consommation et production. Entre les 2 jours de consommation maximale, on voit que la production éolienne varie du simple au double, en 24h. De plus, si on regarde le retour d'expérience de RTE sur la vague de froid, on s'aperçoit que les importations (p12) et le prix (p14) ont été maximaux le 9 février, juste au moment d'un trou de vent (p10). Si l'éolien apporte une contribution, elle est foncièrement aléatoire et ne remplace pas vraiment une centrale classique.

Les centrales classiques sont, elles, atteintes par la limite d'âge, en quelque sorte. Les directives européennes anti-pollution vont entraîner la fermeture de nombre de centrales au charbon — 3.6GW sur 6.8 — et au fioul — 4GW sur 5.3. Des centrales à cogénération vont fermer, les subventions se terminant. En face de cela, quelques centrales au gaz se sont confirmées, mais pas suffisamment pour compenser (p79). capa_fossile.jpg Comme en plus la crise a fait s'effondrer les prix des permis d'émission de CO₂, le charbon est redevenu très compétitif, ce qui ne va pas inciter à la construction de centrales au gaz. Les centrales à combustibles fossiles voient aussi leur rentabilité entamée par les énergies intermittentes comme l'éolien. Pour couronner le tout, RTE prévoit que la capacité d'importation sera limitée à 4GW, en grande partie pour la même raison: la mise à la retraite de centrales.

Au total, RTE prévoit un manque de puissance de 1.2GW pour remplir son objectif en 2016, en baisse par rapport à ce qui était prévu l'an dernier (2.7GW), en partie du fait de la conjoncture économique. Pour 2017, le manque est de 2.1GW. Évidemment, on peut songer que des travaux seront sans doute faits soit pour construire des turbines à gaz, soit pour rénover des centrales au fioul pour combler ce manque. Mais on ne peut s'empêcher de penser que fermer la centrale de Fessenheim (1.8GW) n'est sans doute pas la meilleure façon d'assurer l'approvisionnement en électricité de la France.

Les conséquences du développement des renouvelables

Un encart p17 livre des informations très intéressantes en liaison avec le développement des renouvelables. Tout d'abord, RTE nous dit que ce développement va coûter 1G€ pour raccorder l'éolien au sol et la même somme pour connecter 3GW d'éolien en mer. Comme l'éolien en mer est déjà horriblement cher, on ne peut que se demander si c'était une bonne idée que d'allouer des lots aux prix proposés.

RTE nous signale aussi le projet allemand d'expansion du réseau. Celui-ci demande la construction de 4400km de lignes THT, dont 1700km de lignes THT 400kV classiques et 2100km de lignes à courant continu. Le tout pour un coût de 20G€ sur les 10 prochaines années. Mais il y a un hic: construire une ligne THT demande 10 ans actuellement du fait des procédures et de l'opposition des sympathisants d'un certain parti politique. Pour ce qui concerne la France, RTE dit qu'adopter une politique diminuant la part du nucléaire nécessiterait de doubler les interconnections sur 20 ans, pour un coût de 7G€, sachant que la vitesse de construction actuelle est très insuffisante. Ces 20 dernières années n'ont vu la construction que d'environ 1/3 des capacités d'exports de la France et certains projets, comme l'interconnexion France-Espagne, ont suivi un chemin de croix.

Un autre encart p85 nous informe aussi des évolutions commerciales et technologiques dues aux renouvelables. C'est ainsi qu'en Allemagne, où le nucléaire remplissait une offre de base fixe au cours de la journée, les réacteurs ont été modifiés pour fonctionner comme en France: avec une possibilité de modulation pour faire face aux périodes de faible consommation. On y dit aussi que dans la plupart des pays européens, la principale contrainte nouvelle posée par le développement des énergies renouvelables est celle du surplus d'offre lorsque la production renouvelable est forte. Dit autrement, on ne sait pas quoi faire de cette électricité fatale à certains moments et elle dégrade la rentabilité des équipements qui assurent réellement la sécurité d'approvisionnement. On peut par exemple s'interroger sur l'opportunité de produire beaucoup d'électricité à midi en plein mois d'août lorsque la consommation en France est pratiquement au minimum de l'année et de la payer à un prix exorbitant, sachant qu'en plus tous les pays européens sont proches de leur maximum de production au même moment.

Les conséquences de la baisse à 50% de la part du nucléaire

RTE nous propose aussi un certain nombre de scénarios à long terme dont un prend en compte la projet de faire baisser à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité. Tout d'abord, p29, RTE nous montre qu'il y a une excellente corrélation entre croissance économique et évolution de la demande d'électricité. On s'aperçoit aussi p84 que la consommation d'électricité ne dépend finalement pas tellement du prix: les prix allemands sont maintenant 75% plus élevés qu'en France pour les particuliers, alors qu'ils étaient nettement plus proches en 2000, l'évolution de la consommation n'a pas du tout suivi le même chemin. Par contre, la dépression en Espagne a réduit la consommation d'électricité. Une conclusion s'impose: une baisse de la consommation d'électricité est provoquée par une baisse du niveau de vie.

Le graphe de la p146 permet de résumer les différents scénarios: mix_elec_fr_50pc.jpg On constate que quoiqu'en dise RTE, le «nouveau mix» laisse penser que le niveau de vie des Français serait alors proche d'une situation de crise prolongée, même si le solde exportateur absorbe une bonne part de la différence avec le scénario médian. Dans ces conditions, il n'est pas dit que l'idée de payer plus pour le réseau et les moyens de production pour une production très comparable à l'actuelle soit très populaire. Finalement, on paierait plus pour exactement la même chose! On remarque aussi, une fois de plus, que la barre noire représentant la production d'origine fossile est la plus épaisse dans ce scénario «nouveau mix». Et, évidemment, la consultation du résultat des simulations ne laisse aucun doute: ce scénario prévoit des émissions de 30Mt de CO₂ contre 24Mt dans le scénario «consommation forte» et 27Mt en 2011. De même, si jamais on s'avisait de respecter à la lettre le programme de François Hollande — qui proposait d'atteindre cette proportion en 2025, les émissions seraient de 40Mt. Cette hausse des émissions par rapport à l'année 2011 est due au besoin de faire fonctionner plus de centrales au gaz pour pallier l'intermittence de l'éolien et du solaire. Il est difficile de considérer cette issue comme souhaitable: on paierait donc plus cher pour autant d'électricité et plus d'émissions de CO₂ qu'aujourd'hui, sans compter les difficultés d'approvisionnement en gaz.

Pour conclure, on voit donc que la politique française en matière énergétique est face à certaines contradictions. Le modèle économique des installations à combustibles fossiles qui assurent réellement l'équilibre entre l'offre et la demande est durablement affecté par l'éolien et le solaire. Ces énergies sont plus chères mais bénéficient d'un traitement favorable sans aucune contrepartie en termes de disponibilité. Comme la production française d'électricité est déjà largement décarbonée, l'intérêt des renouvelables dans la production d'électricité est clairement douteux, mieux vaudrait investir ailleurs. On voit aussi que les pouvoirs publics ont concentré leurs moyens sur ces énergies, au lieu de s'attacher à la sécurité d'approvisionnement. Bien au contraire, les politiques proposent des mesures qui vont en sens contraire comme des fermetures de centrales nucléaires. Mais en plus, on s'aperçoit que remplacer le nucléaire par des renouvelables va aboutir à l'effet inverse de l'effet recherché: faire baisser les émissions de CO₂. L'idéologie est décidément mauvaise conseillère.