Nota bene: ce billet connait une suite depuis mars 2013.

Depuis quelques temps circule l'idée selon laquelle le diesel ferait 42000 morts par an en France. On en retrouve la trace par exemple dans cet article de l'Express ou cet autre du Parisien. Tout cela accompagne la publication d'une nouvelle monographie du CIRC confirmant le caractère cancérogène des gaz d'échappements des moteurs diesel: ils provoquent des cancers du poumon.

En fait, la véritable estimation semble être que ce sont les émissions de particules fines — de moins de 10µm — dans leur ensemble qui sont à l'origine des 42000 morts. C'est ce qu'on comprend à la lecture de cet article du Figaro. L'indispensable site du CITEPA fournit des données sur les émissions de particules, ventilées par secteurs responsables. On trouve dans le rapport de 2012 ce graphe: Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On s'aperçoit que les transports routiers ne sont responsables que de 19% des émissions de particules, derrière par exemple le chauffage des bâtiments — à cause du fioul et du bois — avec 39%. On peut en déduire que le diesel ne peut être impliqué que pour environ 8000 morts, soit 5 fois moins que ce donne à penser la presse.

L'autre question est de savoir si l'estimation de 42000 morts pour l'ensemble des émissions de particules fines est crédible. On peut commencer par consulter le site de l'OMS qui nous offre une superbe carte de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur. On y voit que l'estimation est de 7500 morts pour l'année 2008, réparti entre un quart de cancers du poumon et le reste sur les autres maladies non infectieuses. Les particules fines constituant un sous-ensemble de la pollution atmosphérique, le nombre de morts causé par les particules devrait logiquement être inférieur. On peut aussi constater qu'en France, on constate 550k décès par an environ: 42k morts, c'est presque 8% du total, c'est-à-dire une cause particulièrement importante. Pour comparer, on estime souvent que le tabagisme provoque 60k morts chaque année, avec cette fois-ci des cancers bien identifiés, puisqu'on estime qu'environ 80% des décès par cancer du poumon y sont liés. Comme dit dans la brochure de l'Institut National du Cancer et comme on peut le vérifier dans la base du CépiDc, il y a environ 30k décès des suites du cancer du poumon en France, ce qui laisse 6000 cancers du poumon causés par autre chose, ce qui est compatible avec l'estimation de l'OMS citée plus haut.

Ces considérations sur le cancer du poumon rendent déjà peu crédible le chiffre de 42k morts à cause des particules. Même en comptant que tous les cancers du poumon qu'on ne peut pas attribuer au tabac soient dus aux particules, cela laisse plus de 85% des décès à trouver dans d'autres maladies. Les conséquences de l'exposition aux particules doivent pourtant être similaire à l'amiante par exemple: des petites particules qui s'enfoncent profondément dans les bronches et y restent. Les cancers devraient représenter une part relativement importante des décès. On peut aussi additionner les décès des catégories qui semblent se rapporter au problème des particules. Si on additionne les décès dus aux maladies cardiovasculaires, aux maladies respiratoires et aux cancers des voies respiratoires, on obtient environ 200k décès: les particules représenteraient 20% de ces décès, alors même que d'autres causes comme le tabac, l'alcool ou encore les régimes alimentaires (cholestérol) sont des causes connues et très répandues de ces maladies. Bref, il semble peu probable qu'il y ait vraiment 42k morts.

Reste donc à se tourner vers la source de l'information. Apparemment, le ministère de l'Écologie donne ce chiffre comme résultant de la pollution aux particules de moins de 2.5µm ainsi que sa source. Cette donnée trouverait donc sa source dans un rapport d'un programme européen chargé entre autres d'établir des seuils en vue de l'élaboration des règles européennes. On trouve effectivement ce nombre dans un tableau excel, il résulte donc d'un modèle mathématique, c'est la donnée des morts prématurées chez les plus de 30 ans, pour l'année 2000. On note que cette donnée est plus grande que le total des admissions dans les hôpitaux, ce qui me semble surprenant. Depuis les émissions ont baissé, donc même en admettant ce chiffrage, le nombre de morts est environ 1/3 plus bas aujourd'hui. Par ailleurs, si on regarde dans le document de référence de l'OMS sur le sujet de la pollution atmosphérique, les ordres de grandeurs sont de l'ordre de 1% de morts en plus pour une augmentation de la concentration moyenne de particules de 10µg/m³ (p257). L'ordre de grandeur de la concentration moyenne en particules à Paris est de 20µg/m³ d'après Airparif. On peut supposer que l'agglomération parisienne est fortement touchée par le phénomène vue la densité de population. Ce qui amène à penser que la pollution aux particules est la cause de moins de 1% des morts en France: en gros, il y aurait un 0 en trop dans le chiffre de l'étude mandatée par la Commission européenne ... qui s'est donc retrouvé dans les média ces derniers jours.

Pour conclure, non, le diesel ne cause pas 42000 morts par an en France. Il est en fait plus probable que toute la pollution aux particules provoque moins de 5000 morts par an. Le diesel en représente en gros 20%, soit mettons 1000 morts par an. Et si on veut vraiment réduire les effets de la pollution aux particules, le mieux serait sans doute de faire la chasse au chauffage au fioul ... et au bois!