Le Monde a publié jeudi dernier un article sur les affres supposés du coton Bt en Inde, intitulé Les promesses non tenues du coton OGM en Inde. Comme le titre le laisse penser, le fond de l'article est essentiellement négatif envers le coton Bt, en ce qu'il est un OGM.

Les mauvais rendements

On nous dit d'abord que la hausse des rendements est moins élevée que prévue. Évidemment, on ne nous dit pas quelle était la prévision, mais on nous entretient d'une baisse des rendements cette année dans l'état d'Andhra Pradesh. L'article mentionne quand même que depuis l'introduction, en 2002, du coton génétiquement modifié en Inde, les récoltes ont doublé, chose qui n'a sans doute jamais été mentionnée dans un article du Monde auparavant.

Et effectivement, on peut constater grâce aux statistiques rassemblées par l'état indien que les rendements ont fortement augmenté depuis le début des années 2000, et que cette hausse s'est produite brutalement à partir de 2003. On constate que les rendements ont augmenté de 60 à 80% par rapport à ce qui existait jusqu'alors. Rendement des cultures de coton en Inde

On constate aussi que la saison 2011-2012 est celle qui a les plus mauvais résultats depuis la saison 2005-2006, avec à peine 60% de rendement en plus par rapport à 2003. Il est vrai aussi qu'il est impossible d'attribuer toute la hausse des rendements au trait OGM Bt: si on regarde la progression du coton Bt en Inde, telle que donnée (p4) par l'association industrielle idoine, on s'aperçoit que l'explosion des rendements démarre avant que le coton Bt ait une présence significative. Autrement dit, le trait Bt n'est pas le seul contributeur à l'augmentation des rendements. Par contre, le trait Bt a un autre intérêt: on a besoin de moins d'insecticides puisqu'une partie des insectes ravageurs — en l'occurrence certaines chenilles — sont combattus par le biais de la modification génétique. Le document de l'ISAAA nous dit que la consommation d'insecticides contre ces ravageurs a baissé de 59% en valeur entre 1998 et 2009 (p9). On voit là qu'il y a un choix économique fait par les agriculteurs: l'intérêt de la semence Bt ne dépend pas seulement d'un surcroît de rendement, mais aussi d'une économie de pesticides et de temps passé à les épandre.

La rédaction de l'article du Monde est aussi clairement malhonnête: elle prend un seul état indien en exemple pour étendre la conclusion au pays entier. Comme on peut le constater sur le graphique des rendements, la chute n'a certainement pas été de cette ampleur dans d'autres états. Par ailleurs, il laisse lourdement entendre que les explications de Bayer sont fausses, alors qu'elles sont corroborées par d'autres spécialistes, par exemple, du Département de l'Agriculture US (p2). Pour le journaliste, la pluviométrie ne joue sans doute aucun rôle dans le rendement des production agricoles. Ce document contredit aussi l'affirmation selon laquelle la hausse des rendements serait due aux progrès de l'irrigation, puisqu'il dit que 75% du coton en Inde n'est pas irrigué.

La menace des «bactéries»

Le journaliste nous apprend ensuite que des bactéries menacent la production dans le nord de l'Inde. Le spécialiste intervenant ensuite nous informe qu'il s'agit en fait d'un virus, celui de la frisolée. On nous dit que le coton transgénique y serait plus sensible. En fait, il semble que la réalité soit quelque peu différente. L'institut de recherche indien sur le coton a publié un article sur cette question. Il s'avère qu'en fait, le virus en question se propage grâce à un vecteur et que la maladie paraît bien corrélée à la présence de cet insecte (p3). Ce papier nous dit aussi que ce virus s'est déjà répandu parmi les cultures de coton, au milieu des années 90. La réponse à l'apparition de cette maladie a été le développement d'hybrides. Ces hybrides, auxquels le trait Bt a sans doute été ajouté par la suite, ont vu leur efficacité contre la maladie diminuer à cause de mutations du virus. Le fait que ces hybrides soient transgéniques ou pas n'a donc pas d'importance; d'ailleurs, le trait Bt n'a jamais été promu comme une solution aux maladies virales des plantes, mais comme un moyen de lutter contre certains insectes — des papillons — seulement. Les anti-OGMs font souvent toute une montagne de la simple possibilité que le trait Bt puisse porter atteinte à d'autres insectes. En quelque sorte, il faudrait que le trait Bt combatte toutes sortes de menaces pour les plantes qui en sont dotées, tout en restant strictement dans les limites de l'action qui lui a été confiée par ses concepteurs, la luttre contre certaines chenilles bien déterminées.

Les affres de l'agriculture moderne

Le journaliste fait aussi montre de son ignorance des pratiques agricoles: l'arrivée d'hybrides s'accompagne de la nécessité d'employer engrais, pesticides et plus d'eau pour qu'ils atteignent leur plein potentiel. C'était déjà le cas pour la Révolution Verte, qui, il est vrai, n'a guère que 60 ans d'âge. On retrouve donc là la contestation habituelle de l'agriculture industrielle par les anti-OGMs. Cette contestation comprend aussi celle de sa transformation en activité capitalistique: les hybrides nécessitent souvent des achats réguliers de semences, la culture nécessite d'engager des frais en intrants plus importants, montants qui ne peuvent être recouvrés qu'après la récolte en un court laps de temps. C'est pourtant une réalité qui n'est qu'amplifiée par le besoin d'intrants et de semences mais qui existe aussi pour l'agriculture vivrière: l'agriculteur a besoin là aussi de maintenir un stock de graines et d'intrants s'il veut obtenir les meilleurs résultats. Dans le cas du coton indien, cela sert aussi à rappeler la légende urbaine selon laquelle les OGMs provoqueraient des suicides par la suite d'une déchéance économique — alors même que les rendements et les prix du coton augmentent! Peu importe que cette légende ait été démontée depuis longtemps ailleurs qu'en France, personne ne semble s'en soucier au Monde.

L'article mentionne la supposée disparition des semences locales. Or, un tour rapide sur le site d'une compagnie indienne de semences montre qu'en fait la plupart de la production de semences est effectuée par des firmes locales, sous licence de Monsanto. On y trouve aussi l'habituel appel à un moratoire sur les OGMs, revendication habituelle des activistes anti-OGMs. On a donc furieusement l'impression de lire un tract anti-OGM. Une petite recherche montre aussi qu'un article au contenu similaire a été publié dans The Hindu, voilà un mois. Sauf que cet article mentionne qu'il s'agit de la publication d'un rapport d'une association anti-OGMs et que les paysans ont gagné avec les semences Bt, notamment grâce aux économies de pesticides. Le Monde ne se comporte donc qu'en porte-voix des anti-OGMs, comme à l'habitude. En quelque sorte, le Monde tient toujours toutes ses promesses, lui.