Les opposants à l'énergie nucléaire ont un problème: si on ferme les centrales nucléaires, par quoi les remplacer? On pourrait bêtement penser les remplacer par ce qui existait avant que la décision ne soit prise dans les années 70 de baser la production d'électricité sur la fission de l'uranium: les énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz naturel. Ces technologies ont toutefois un gros défaut: elles produisent comme déchet du gaz carbonique, gaz à effet de serre bien connu. Or il se murmure que trop d'émissions amènerait à un réchauffement incontrôlé et important de la planète qui s'accompagnerait d'évènements imprévisibles mais presque certainement néfastes. Il est donc important de proposer des moyens de remplacer les centrales nucléaires par des énergies ne produisant pas de gaz à effet de serre.

C'est pourquoi il est important pour ces opposants de disposer de scénarios intégrant à la fois fin des combustibles fossiles et fermeture des centrales nucléaires. Ces scénarios sont aussi utiles pour ceux qui sont favorables à la continuation de la production d'électricité par l'utilisation de la fission: si ces scénarios ne sont pas crédibles, le nucléaire en sort conforté; s'ils le sont, on pourrait toujours s'en servir comme d'une base pour un scénario différent où le nucléaire pourrait apporter, par exemple, un coût moindre. En France, l'association négaWatt a présenté un scénario actualisé. Tout d'abord, il faut remarquer que ce scénario s'appuie avant tout sur une baisse drastique de la consommation d'énergie. Ce n'est pas étonnant, une part prépondérante de l'énergie finale consommée en France est utilisée dans le secteur des transports — utilisation de voitures, camions, ... — et dans le secteur du chauffage — notamment au gaz naturel. Si on veut sortir du nucléaire ou à tout le moins ne pas avoir à construire de nombreuses centrales, il faut bien faire des efforts en matière de consommation pour se passer de combustibles fossiles.

Cependant, si on se tourne du côté de la production d'électricité, on peut remarquer quelques menus problèmes. D'abord, si on regarde le dossier de synthèse, on voit (p22) un graphe décrivant la provenance de l'énergie consommée en France en 2010. On constate que le charbon n'est pas utilisé pour la production d'électricité, mais seulement dans la sidérurgie et le chauffage, ce qui est en totale contradiction avec ce qu'on trouve dans les documents de RTE, l'entreprise qui s'occupe du réseau de transport d'électricité. Dans le bilan prévisionnel publié cet été, on lit (p83) qu'il y a eu 19TWh d'électricité produite à partir du charbon en 2010. On peut aussi regarder le bilan énergétique publié par le ministère de l'énergie: p21 on voit que la France a importé 11.8 Mtep de charbon et produit 0.1Mtep (p17). Ce qui nous donne 138TWh, 54 de plus que sur le diagramme de negaWatt. Si on fait l'hypothèse que la production d'électricité à partir de charbon a été oubliée, cela nous donne un rendement des centrales au charbon de 35%, ce qui paraît raisonnable. Il semble donc bien que la consommation de charbon pour la production d'électricité ait été oubliée, ce qui ne fait pas très sérieux, s'agissant de la situation de départ.

Sur le diagramme de la p23 du dossier de synthèse, on voit que l'éolien produirait 194TWh soit presque la moitié de la production électrique dans leur scénario. Si on lit la présentation sur les sources d'énergie, les énergies produites et les puissances installées par types d'installations nous sont données. À partir de là, on peut calculer le facteur de charge, c'est-à-dire le rapport de la production réelle à la production théoriquement possible sur une année. Ce qui donne le tableau suivant:


Situation Puissance installée (GW ) Production (TWh) Facteur de charge
Terrestre 48 97 23%
Côtière 8.5 26 35%
Maritime 21 71 38.5%

Malheureusement, les facteurs de charge sont quelque peu ambitieux. Actuellement, le facteur de charge moyen des installations éoliennes est de 23%. Comme on peut supposer que ce sont les meilleurs sites qui sont équipés en premier, le facteur de charge ne peut que décroître à mesure que de nouvelles éoliennes sont installées. Ce qui veut dire que le taux de charge pour les éoliennes terrestres est forcément surévalué. Avec le nombre de sites équipés que cela suppose, le taux de charge sera sans doute plus bas de 2 ou 3 points en réalité. Quant aux taux de charge des éoliennes marines, il semble extrêmement surestimé. L'annuaire statique anglais sur les énergies renouvelables nous donne en effet les taux de charge pour les éoliennes terrestres et marines séparément (tableau p30). En moyenne, le taux de charge des éoliennes marines est en moyenne 4 points au dessus des terrestres, et non 12. Certes, plus on s'éloigne des côtes et plus le taux de charge doit augmenter, mais les 35% et plus ne sont pas accessibles — surtout en moyenne avec des installations de cette ampleur — dans les eaux françaises. Avec ce qui est proposé, la production éolienne est surévaluée avec un ordre de grandeur de 30TWh, soit 15%. Avant d'aborder la question de la variabilité, la production d'électricité paraît clairement surestimée, alors même que le scénario prévoit une baisse drastique de la consommation pour être compatible avec la production. En clair, le plan combine des économies d'énergies impossibles à réaliser et une production insuffisante.

Le scénario de negaWatt prévoit une solution pour la variabilité des énergies renouvelables: ils proposent de fabriquer de l'hydrogène par électrolyse puis de le stabiliser en le transformant en méthane à partir de gaz carbonique (p19 du rapport, p20 de la présentation sur les sources d'énergies). Cependant, ce méthane ne sert pas à produire d'électricité directement. Ce n'est donc pas une solution à la variabilité de l'offre d'électricité, puisque, si les crêtes sont gérées de cette façon, les trous sont toujours à gérer. Pour gérer ces trous, ils proposent d'utiliser plus les stations de pompage — remonter de l'eau dans les barrages: avec le même nombre de stations, ils triplent quasiment le courant produit de cette façon. La production d'hydroélectricité augmente ainsi de 10TWh par rapport à 2010. Par ailleurs, il ne reste que 2.5TWh de centrales thermiques pures (sans cogénération). Au total, il ne reste de purement disponible à la demande que moins de 5% de la production d'électricité; à l'heure actuelle, on en est à 90% voire plus, dont plus de 10% de thermique fossile qui, avec les barrages de retenue, sont les moyens qui font véritablement face aux pointes de consommation — et non aux chutes de production involontaires! Si on ajoute la cogénération dans le scénario négaWatt, on arrive à presque 12% de l'énergie produite. Seulement voilà: la cogénération est censée produire aussi de l'eau chaude, dont on n'a pas forcément besoin lorsque le vent s'arrête ou que la couverture nuageuse est importante. Ce projet prévoit ainsi 21TWh de «micro-cogénération», autrement dit des gens qui produiront de l'électricité avec leur chaudière à gaz. Imagine-t-on que les gens utiliseront leur chaudière pour servir de groupe électrogène lorsqu'ils auront besoin de courant mais pas d'eau chaude ni de chauffage? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est certainement pas une solution efficace, comme l'a montré autrefois Carnot: les chaudières des habitations ont des températures de source chaude nettement plus basses que les CCGTs.

Mais même ainsi, on n'arrive donc que péniblement à la production disponible à la demande et rapidement comparable à l'actuelle, alors que l'éolien et le solaire sont très imprévisibles, comme le montrent les aperçus de la production en France ou encore les données sur les centrales solaires. Actuellement, pour pallier cet inconvénient, les pays utilisant beaucoup l'énergie éolienne compensent l'absence de vent à l'aide de centrales thermiques au charbon ou au gaz, comme on peut le voir sur cette page, en bas. Ce qui fait que, grosso modo, à chaque fois qu'une éolienne est installée, il faut disposer d'une production thermique disponible supplémentaire équivalente en puissance. Pour couronner le tout, le scénario s'appuie énormément sur le solaire; or l'éclairage est une forte composante de la demande de pointe et il est évident que la demande d'éclairage est directement liée à l'absence de luminosité procurée par le soleil. Autant dire que la façon d'assurer l'équilibre offre-demande à tout instant, essentiel dans un système électrique, est très nébuleuse et paraît extrêmement peu crédible.

Pour conclure, negaWatt surestime la production d'électricité et sans doute aussi les économies d'énergies qui sont raisonnablement réalisables. La production d'électricité est confiée en majeure partie à des sources variables, les moyens de production à la demande disparaissent quasiment pour laisser la place à de la production subie. Il ne reste plus dans le système que ce qui est actuellement prévu pour gérer les pointes de consommation, alors qu'aujourd'hui les centrales produisent principalement à la demande. Prétendre qu'on tient là une alternative crédible aux plans actuels et une possibilité de se passer d'électricité nucléaire, c'est une pure escroquerie. Mais on peut gager que ce scénario servira lors de la prochaine campagne présidentielle et que ceux qui s'en prévaudront ne seront jamais ou presque contredits.