Puisque la rubrique «tribunes» du journal français dit de référence continue d'être alimentées par les militants anti-nucléaires, on se doit de publier un nouveau billet consacré encore une fois au nucléaire civil, ou plutôt aux arguments déployés par ses opposants. Le Monde a ainsi fêté dignement les 25 ans de Tchernobyl en publiant leur vision eschatologique du bilan de la catastrophe — qui a reçu ailleurs une volée de bois vert bien méritée — à la suite de l'article écrit par leur chroniqueur écologique maison dont wikipedia nous fait obligeamment remarquer qu'il se dit lui-même partisan de la décroissance, ce qui peut expliquer pourquoi certains ont pu trouver cet article biaisé. Il publia ensuite une tribune sur le thème de l'indéfendable nucléaire dont on a dit ici tout le bien qu'on en pensait puis enfin, plus classiquement, l'appel à un référendum en France sur le sujet des principales personnalités écologistes du moment. Le 31 mai, Stéphane Lhomme, ancien porte-parole de Sortir du nucléaire, apporte sa pierre à l'édifice avec une tribune titrée Sortir du nucléaire à un rythme "raisonnable" est… déraisonnable !.

Comme d'habitude, on y trouve des arguments peu convaincants. L'auteur écrit que les emplois dans l'industrie du nucléaire sont de mauvaise qualité et que les travailleurs y sont forcément irradiés. Actuellement, la réglementation française veut que les travailleurs du nucléaire ne reçoivent pas plus de 20mSv/an. Le seuil communément admis du seuil de dommage se situe à 100mSv/an; au Kérala, en Inde, on estime qu'une région où habitent 100k personnes, la dose reçue est d'en moyenne 15mSv/an (cf Annexe B du rapport de l'UNSCEAR en 2000, Table 11, p39) sans qu'on constate des effets délétères. La qualité des emplois dans le nucléaire ne semble pas pire que dans d'autres secteurs et s'ils sont peu nombreux, les salaires sont certainement plus élevés que le salaire moyen français. De plus, le fait qu'il y ait beaucoup d'emplois dans la production d'énergie ne veut pas dire qu'il y ait plus d'emplois en tout dans un pays: les espoirs fondés sur les énergies renouvelables seront inévitablement déçus. Par contre, cela permettra sans nul doute au personnel politique de se montrer en train distribuer des emplois grâce à leur pouvoir. La raison de cet échec prévisible est simple: tout le monde reconnaît que ces énergies sont forts chères.

Le prix de l'électricité est justement un des autres arguments de l'auteur. Pour la première fois, une source nous est donnée, Eurostat, ainsi que, via un lien vers le site anti-nucléaire de l'auteur, un graphique extrait d'une étude. Un premier regard sur le graphique montre que la France n'est pas si mal placée puisque l'électricité y coûtait 25% de moins que la moyenne européenne, ce qui contredit déjà la pensée de l'auteur.

Un détour par le site d'eurostat montre qu'il s'agit d'une étude semestrielle, dont la dernière mouture étudie les prix du 1er semestre 2010, même si les chiffres du 2e sont déjà disponibles en consultant la base de données. On voit ci-dessous le graphique actualisé: prix_particuliers2010S1.jpg

La France a amélioré sa position, puisqu'il n'y a plus que 7 pays meilleur marché contre 12 en 2007. Ce changement a 2 causes. La première est sans nulle doute les évolutions des cours des matières premières et des politiques locales. La deuxième est qu'il y a eu un changement de méthodologie. Cependant l'identité des pays meilleur marchés que la France n'a pas beaucoup changé. On s'aperçoit qu'il s'agit dans l'ordre de la Bulgarie, de l'Estonie, la Roumanie, la Lettonie, la Croatie, la Lituanie et enfin la Grèce. Tous sauf un sont d'anciens pays du bloc de l'est où le niveau de vie et donc les salaires sont plus bas qu'en France, ce qui a inévitablement un effet sur le prix final de l'électricité puisqu'il faut bien payer les dépanneurs, ceux qui relèvent les compteurs, etc. Fatalement, cela se voit sur le graphe (p6) où est donné le prix en parité de pouvoir d'achat: la France s'y place 2e devancée de peu par la Finlande.

Un autre point mérite aussi l'attention: parmi ces pays peu chers, la Bulgarie et la Roumanie ont des réacteurs nucléaires sur leur sol et comptent en construire d'autres. Les triplés baltes ont un projet de centrale nucléaire pour remplacer celle d'Ignalina. La Croatie possède 50% de la centrale de Krško, située en Slovénie. Seule la Grèce a renoncé à l'électricité nucléaire.

Sur la première page, juste au-dessous du graphe donnant les prix offerts aux particuliers, figure le graphe des prix industriels. prix_industriels2010S1.jpg Miraculeusement des pays forts chers deviennent bon marché. On peut citer la Suède et le Danemark. On voit là une différence de nature politique: certains pays découragent l'utilisation d'électricité par les particuliers, ou bien préfèrent favoriser l'industrie de façon à retenir cette dernière sur leur territoire.

On peut aussi remarquer que les pays les plus chers pour les particuliers ont un niveau de taxes très important. Ainsi au Danemark, elles dépassent 50% du total. Le graphe montre d'ailleurs une forte taxe d'accise (taxe hors TVA), point partagé avec l'Allemagne et le Portugal. On ne peut que subodorer la cause de cette taxe: les énergies renouvelables. Ces énergies, au premier rang desquelles figurent l'éolien et le solaire, sont — répétons-le — fort chères. Pour encourager la construction d'éoliennes et de panneaux solaires, plutôt que d'augmenter tel quel le prix de l'électricité, le gouvernement crée une taxe. En France, il s'agit de la CSPE. C'est un mécanisme très intéressant pour les états entendant développer ces énergies: il n'y a pas d'effet d'aubaine pour les centrales existantes. Mais surtout par ce biais, on épargne à l'industrie une hausse des coûts qu'on laisse donc entièrement à la charge des particuliers. En cela, on peut profiter d'une dissymétrie entre eux: si ses produits deviennent trop chers, une entreprise mourra et ne paiera plus rien; les particuliers sont bien obligés d'habiter quelque part, de préférence près de leur lieu de travail, on peut donc les matraquer librement. On voit là une conséquence inattendue des énergies fantastiques que sont les renouvelables: les citoyens qui n'ont pas la chance de devenir producteurs sont les victimes d'un choix d'énergie puisqu'ils en supportent la charge intégrale.

C'est alors qu'on peut faire une remarque sur les pays les plus chers. Il s'agit du Danemark, de l'Allemagne, de la Belgique, de la Norvège, de l'Italie, de l'Autriche, de Chypre et de la Suède. La Norvège n'a pas de projets particuliers, elle produit la quasi-totalité de son électricité par des barrages, la situation à Chypre est inconnue. Tous les autres, par contre, ont annoncé leur volonté de ne pas utiliser le nucléaire civil. C'est ainsi qu'on peut voir que de l'argumentation de Stéphane Lhomme, il ne reste pas grand'chose. D'une part, l'électricité est effectivement bon marché en France. D'autre part, tous ceux qui annoncent leur sortie du nucléaire ont des coût facturés aux particuliers très élevés de sorte que l'abandon du nucléaire aggravera cette situation mais de façon relativement supportable, et ce d'autant plus que les industries seront protégées de l'augmentation des prix par une taxation punitive des particuliers. On conçoit donc quel serait le désastre en France si jamais le nucléaire civil devait être abandonné: les prix seraient au minimum multipliés par 2 voire nettement plus pour rejoindre les prix allemands, pendant qu'on essaierait tant bien que mal de préserver l'industrie du destin promis au vulgaire.