Ce billet est le premier d'une série. Le découpage en plusieurs billets est nécessaire du fait de la longueur du propos. Quelques aspects du principe de précaution tel que je le comprends à la lecture de la littérature sur le sujet et de l'application qui en est faite y sont abordés.

Le principe de précaution est souvent invoqué de nos jours, parfois à tort et à travers. Dans un passé révolu, il me fut donné l'occasion de lire une partie d'un livre consacré au sujet. Il me semble toujours exposer les choses de façon intéressante. Si à l'époque l'auteur paraissait optimiste et donnait donc une vision à l'avenant de l'application du principe de précaution, il semble surtout aujourd'hui que l'auteur a bien cerné les façons dont le principe de précaution a été dévoyé depuis.

Des systèmes de prévention se sont largement développés à l'époque moderne. Leur développement a souvent accompagné celui des états providence et notamment de l'assurance maladie. L'assurance maladie permet de rassembler des données statistiques, même si c'est de façon d'abord rudimentaire, pour essayer de déterminer les causes de mortalités. Pour poursuivre le mouvement de baisse séculaire de la mortalité, il a sans doute fallu déterminer de nouveaux liens de causalité entre certains événements. Le but d'un système de prévention est globalement d'essayer de déterminer quelles sont les causes de risques et de trouver des moyens d'agir sur ces causes pour diminuer les risques. L'état agit alors souvent de manière coercitive en interdisant — c'est ce qui s'est produit par exemple avec le DDT — ou en rendant obligatoire certains actes — par exemple, les vaccinations contre la poliomyélite ou l'installation de ceintures de sécurité dans les automobiles. Il peut aussi agir de façon plus incitative, comme avec les publicités pour le préservatif.

La logique des politiques de prévention est que les actions des gouvernants sont guidées par la raison, qu'il est possible d'évaluer les avantages et les inconvénients de chaque décision ainsi que de les comparer. L'idéal du gouvernement raisonnable accompagne l'idéal de la démocratie: si on doit gouverner pour le bien du peuple, il ne suffit pas d'écouter les diverses demandes, mais il faut aussi essayer autant que faire se peut de prendre les décisions évidemment favorables à l'ensemble de la population et surtout d'éviter les décisions les plus néfastes. Si l'expérience tend à montrer que la raison ne guide pas toujours les décisions gouvernementales, il est certain que les divers gouvernements démocratiques ont pour objectif d'au moins limiter les dommages en matière de santé publique, même si des échecs retentissants se produisent ou se sont produits comme l'affaire du sang contaminé.

Il n'est cependant pas toujours possible de rassembler les connaissances nécessaires dans un délai raisonnable, voire même il ne sera possible de déterminer le dommage réel qu'une fois que l'événement néfaste s'est produit. S'il s'avère que les conséquences sont nettement plus graves que les bénéfices qu'on pensait retirer, les regrets rétrospectifs seront légitimes. Pour éviter cela, on peut alors penser à agir dès qu'un événement particulièrement grave devienne plausible. C'est là la base du principe de précaution. C'est ainsi que les firmes fabricant des médicaments doivent prouver l'efficacité de leurs préparations ainsi que démontrer qu'elles n'ont pas trop d'effets secondaires. Par ailleurs, la prise de conscience progressive que les activités humaines pouvaient entraîner des dégâts très importants à l'environnement, et en conséquence sur le bien-être de chacun, a entrainé l'extension et le succès de ce principe dans le cadre de la gestion de l'environnement. C'est en effet dans ce cadre que les formalisations légales ont eu lieu, comme par exemple celle de la Charte pour l'environnement qu'on prendra comme référence.

Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

La protection de l'environnement n'est pas le seul domaine où le principe de précaution trouve à s'appliquer, le domaine de la santé publique s'y prête aussi particulièrement.

La rédaction de la Charte dit des choses clairement: on doit être dans le cadre d'une controverse scientifique non encore véritablement réglée, le risque doit être grave et irréversible — ceci s'entendant à l'échelle des perceptions humaines, mettons donc au moins 10 ans —, l'état est censé évaluer les risques — de sorte à essayer d'éclaircir le débat scientifique — mais aussi prendre des mesures provisoires — dont on sait qu'elles peuvent durer au moins aussi longtemps que les éléments irréversibles. Le problème vient plutôt du problème de la proportionnalité.

Seul le dommage est mentionné dans le texte de la Charte, cela peut conduire à estimer que la proportion se comprend vis-à-vis du dommage. Cela amènerait donc à prendre des mesures drastiques, ce qui ne paraît pas nécessairement raisonnable. Un élément atténuant est le fait qu'on n'est pas certain que le pire se produira, ce qui tend à diminuer l'effort à faire. Mais en fait, la proportion se comprend surtout pour le coût des mesures à prendre. Ce coût n'est pas que financier, les mesures à prendre viseraient sans nul doute à diminuer la liberté des individus ou détourneraient l'attention de l'état d'autres problèmes, parfois bien certains ceux-là. Il s'agit alors de prendre en compte les avantages et inconvénients de chaque alternative, sachant qu'elles sont plus ou moins probables.

Le principe de précaution apparaît ainsi comme une extension naturelle de la prévention: il s'agit d'intervenir le plus tôt possible pour mettre en balance avantages et inconvénients, d'essayer d'agir le plus tôt possible pour éviter de graves conséquences. D'un autre côté, l'action dans un contexte d'incertitude scientifique peut conduire à agir d'une façon qui n'a qu'un lointain rapport avec une action raisonnable, comme on essaiera de l'exposer. Que les dommages possibles soient aussi, en apparence, seuls en scène ne fait que renforcer cet aspect irrationnel, comme on essaiera de l'expliquer.

Épisode suivant: Le principe de précaution, principe juridique raisonné